La rencontre d’Israël et des Territoires palestiniens
Ils sont venus à la rencontre d’Israël et des Territoires palestiniens : une quinzaine d’imams et de dignitaires musulmans de France, avec en point de mire, la paix.
Photo by: Ambassade de France
L’image n’est pas banale. Une quinzaine de Musulmans, toques sur la tête, boubous pour certains, déambulent dans les allées de Yad Vashem. Des imams ou représentants communautaires français, venus passer cinq jours en Israël et dans les Territoires palestiniens, à la mi-novembre dernier. Parmi les membres de la délégation : Ali Mohamed Kassim, mufti des Comoriens de France, ou Salah Attia, président de la communauté égyptienne de France.
Et bien sûr, l’imam de Drancy, qui n’en est pas à son coup d’essai en matière d’initiatives peu populaires auprès des plus radicaux de sa communauté, pour s’évertuer, depuis quelque cinq ans, à enrayer l’antisémitisme des Musulmans de France. Imam solitaire pour les uns, des Juifs pour les autres, Hassen Chalgoumi emprunte les chemins de traverse qui s’offrent à lui pour prêcher coexistence et fraternité, où qu’il se trouve, dans le désert de Judée ou sur le bitume de sa banlieue parisienne.
Ce voyage, il le porte comme le calumet d’une paix qu’il s’emploie à faire régner au sein de ses fidèles drancéens, et aimerait voir s’instaurer, ici, dans un Moyen-Orient agité. Une « délégation de l’espoir », comme il l’a baptisée à son arrivée à l’aéroport Ben Gourion. Peu importe qu’il en soit le véritable initiateur – les organisateurs resteront volontairement discrets sur l’origine du voyage dont on sait juste qu’il a reçu la bénédiction des deux ambassades, française et israélienne, pour éviter tout amalgame politique – il assume son rôle de chef de groupe, la calotte haute et la main sur le coeur.
Son objectif, et celui de ceux qui l’accompagnent : « montrer que l’islam n’a rien à voir avec Mohamed Merah ». Merah, le tueur fou de Toulouse et de Montauban, qui a pris la France par surprise en mars dernier, lui révélant avec violence l’antisémitisme qui grandissait en son sein, activé par certaines franges extrêmes d’un salafisme non maîtrisé.
« Ce genre d’actes est soutenu par une infime minorité de Musulmans », a tenu à affirmer Chalgoumi en posant le pied en Terre promise.
Sioniste, vous avez dit sioniste…
Et rien de tel pour le prouver qu’un voyage de l’amitié, en Israël et dans les Territoires palestiniens. L’occasion aussi, pour les 15 dignitaires musulmans, de se confronter avec une réalité moyen-orientale parfois loin des clichés enracinés.
« Ils avaient envie de connaître ce pays et de voir de près la situation », explique Bernard Koch, conseiller juif en communication de Hassen Chalgoumi. Et selon lui, le résultat est tangible : « Leur regard sur Israël a évolué, incontestablement ».
Deux semaines après leur retour en France, difficile d’interroger les participants, qui préfèrent rester discrets sous le coup de menaces des éléments les plus radicaux de l’islam français. Manifestation hostile devant la mosquée de Melun. Vives tensions à Marseille. Envois de textos ou mails incendiaires. « On s’y attendait dès le départ », pointe Koch, « nous savions qu’il y aurait des répercussions négatives. Il faut juste que les choses se tassent pour pouvoir pleinement mesurer les retombées du voyage. » Il faut dire aussi, hasard du calendrier, que le voyage s’est déroulé en pleine opération militaire « Pilier de défense » venue s’inviter dans un emploi du temps déjà bien chargé.
De quoi attiser la foudre des détracteurs de Chalgoumi qui n’ont vu dans ce voyage qu’une « initiative provocante ».
« Alors que l’Etat hébreu bombarde des civils dans la bande de Gaza, une délégation de pseudo-imams décide d’affirmer son soutien à l’Etat sioniste », pouvait-on lire sur certains sites islamistes.
« Il faut redonner leur sens aux mots », intervient Nourdine Saïd Mohamed Mlanao, président du CNDR, le Conseil national diversité républicaine, une association qui milite pour la défense des intérêts des originaires de l’Océan indien, et membre de la délégation : « Un sioniste est celui qui est en faveur du retour à Sion, cela ne signifie pas qu’il est hostile aux Palestiniens. »
Peres, oui – Bibi, non
En matière de rencontre frontale avec le quotidien israélien, les imams auront eu droit à deux alertes à Tel-Aviv : d’abord en la résidence de l’Ambassadeur de France, à Yaffo, au cours d’une réception en leur honneur, et la veille de leur départ, lors d’un déjeuner avec un représentant du Premier ministre Binyamin Netanyahou.
Sur le conflit, ils auront préféré ne pas s’exprimer, pour ne pas mélanger les choses, « ne pas gâcher la mission de paix qu’ils s’étaient fixée ». Leur tâche était déjà suffisamment compliquée : ils sont venus pour soutenir la cause d’un Etat palestinien, certes, mais aux côtés d’Israël. « Ce n’est pas simple pour des imams de France d’afficher cette position, face à la minorité agissante musulmane et les dérives dans les banlieues », explique Koch. Une démarche significative que salue également le directeur de l’Institut français, Olivier Rubinstein : « Leur venue est importante, surtout dans ce climat de tensions ».
Alors, bien sûr, le programme aura été élaboré avec soin.
Pas question d’une rencontre avec Binyamin Netanyahou en personne, qui n’est pas toujours perçu comme le meilleur artisan de la paix – la délégation se sera entretenue avec son directeur de cabinet. Par contre, les membres auront été reçus à bras ouverts par le président Peres, après inspection du parcours de l’homme.
Ces imams font-ils partie de ce qu’on appelle l’islam modéré de France ? « Ils appartiennent à un groupe humain, largement majoritaire en France, qui veut qu’on cesse de le stigmatiser », répond Koch. Il poursuit : « Les radicaux constituent une frange marginale, mais très active. Il suffit de peu pour que tout s’enflamme ». Et de dénoncer l’absence d’une structure fédératrice, à l’instar du Consistoire israélite : « De l’extérieur, on a l’impression de voir beaucoup d’imams s’agiter dans tous les sens, c’est difficile à gérer ».
Selon lui, les pouvoirs publics sont conscients de la situation, mais peu d’actions sont entreprises sur le terrain.
Certes, des arrestations récentes ont fait grand bruit, mais cela n’est pas suffisant, estime Koch, qui attend des autorités françaises l’élaboration de nouvelles stratégies vers les communautés musulmanes du pays, pour amener les adeptes de l’islam à mieux comprendre le conflit israélopalestinien.
Ramallah, la bourgeoise
Premier constat pour la délégation française : Israël est un Etat libre et indépendant, où règne une réelle liberté de culte. Pour preuve, la rencontre avec plusieurs imams de l’Etat hébreu, des dignitaires musulmans qui assument pleinement le fait d’être israéliens. « Ils ne s’en plaignent pas, bien au contraire », précise Koch. « Et c’était important que les membres de la délégation puissent l’entendre de leur propre bouche ».
Egalement au programme : un entretien avec le juge suprême d’un tribunal islamique israélien. Là aussi, un coup de pied aux idées reçues. Car l’institution musulmane n’est pas fréquente dans nombre de pays arabes. « La délégation a pu se rendre compte qu’Israël est une véritable démocratie », note Koch.
Et dans les Territoires palestiniens, quelle impression ? Nourdine Mlanao reconnaît un décalage entre l’image ancrée dans les esprits occidentaux et la situation sur le terrain : « Ramallah n’est pas un camp de réfugiés, c’est une ville où une certaine bourgeoisie s’est développée. Nous sommes loin de la guerre des pierres. Et c’est cette image-là qu’il faut ramener en France ».
Mlanao est conscient de son rôle de vecteur d’information, une fois de retour dans l’Hexagone. « Quand je parlerai d’Israël, je sais que je ne serai pas facilement entendu. Mais je pourrais confronter le jeune en lui demandant : ‘Tu as été sur place ? Non. Moi oui.’ Et c’est beaucoup plus facile d’être crédible quand on s’appelle Nourdine. » Et de revenir sur la barrière de sécurité : « Ce mur, c’est un mal pour un bien », estime-t-il, « pendant des années, Israël a démantelé des tentatives d’attentat, sans le crier sur les toits à chaque fois, c’est une réalité ».
Les appels du pied de l’AP
La paix, Nourdine y croit dur comme fer. Mais il dénonce le « business humanitaire qui n’a pas toujours intérêt à une solution pacifique dans la région ». Il pointe du doigt certains expatriés, nantis, qui se nourrissent du conflit. « Alors que ceux qui ont fait la guerre deux fois, » dit-il, « n’ont pas envie de la refaire ». C’est pour cela que parfois, « il vaut mieux laisser partir les jeunes dans les camps d’entraînement salafistes, au Pakistan ou en Afghanistan, car quand ils reviennent après avoir reçu une balle, il ont compris. Et ceux qui voulaient les imiter, aussi. » La délégation a également été reçue par le mufti de Jérusalem, qui a souhaité la bienvenue aux Musulmans français dans les Territoires palestiniens. Message-clé du dignitaire religieux : ne pas exporter le conflit israélo-palestinien en France.
Une attitude porteuse et positive, estime Bernard Koch, présent à toutes les rencontres et qui tient à se faire l’écho de la volonté des autorités palestiniennes de désamorcer la violence inter-communautaire sur le sol français. Salam Fayyad, chef du gouvernement de Ramallah, par exemple, a tenu à faire passer un message très clair : toute attaque communautaire, en France, est à bannir. Selon Koch, l’ensemble des leaders palestiniens rencontrés se sont déclarés hostiles à toute manifestation d’agressivité.
Nourdine Mlanao confirme. Il a perçu, chez les personnalités palestiniennes rencontrées, un désir d’aller vers la paix. « Ils sont prêts à faire des concessions. Je parle du Fatah, bien sûr, pas du Hamas. Mais les dirigeants avec lesquels nous avons pu échanger nous ont demandé de relayer leur bonne volonté auprès des autorités françaises. »
Fierté mal placée
Pour Nourdine Mlanao, tout est une question de « vivre ensemble ». Il revient sur le cas de la France. Selon lui, le phénomène Merah existe depuis longtemps, depuis les années 1985, 1990. Mais bon nombre de communautés, pour des raisons de « paix sociale », ont laissé germer l’islamisation radicale, explique-t-il. Tout le monde a pratiqué la politique de l’autruche, satisfait de voir qu’au plan local, la délinquance diminuait.
Progressivement, le petit délinquant d’hier est devenu le fondamentaliste musulman d’aujourd’hui, déplore-t-il. La faute aux Salafistes qui profitent de la perte de repères de jeunes en mal d’identité. « Quand on leur dit qu’ils sont français, ils vous rient au nez, ils ne se considèrent pas comme des citoyens de la République. » Et Nourdine de poursuivre : « Ils se sont créé un code vestimentaire, une façon de parler, dans le but de se différencier du Français moyen. Et ils ont commencé à développer une fierté mal placée d’être arabes. » La première génération était soumise, explique Nourdine. Ses membres n’osaient rien dire, ils étaient venus pour travailler, avec un objectif en tête : s’intégrer économiquement.
Surtout ne pas se faire remarquer, être discrets.
« Mais la France n’a pas su reconnaître tous ses enfants », déplore ce militant de la diversité depuis les années 1980, qui vient d’être nommé coordinateur du CIEUX (Comité interreligieux pour une éthique universelle et contre la xénophobie), dans le 15e arrondissement de Paris. « Elle a commis des erreurs d’intégration, comme avec ces enfants maliens, logés à dix dans des dortoirs et qui rencontrent à l’école publique des petits Français qui disposent chacun de leur chambre. Peut-être aurait-il mieux fallu qu’ils restent làbas », avance Nourdine. Pour lui, aucun sujet ne doit être tabou, « sinon on laisse le champ libre à l’extrême droite ».
S’il reproche aux autorités françaises d’être « hors-sujet, cantonnées dans leur tour d’ivoire, déconnectées des réalités du terrain », il regrette aussi la faiblesse du rôle parental : « Il faudrait pouvoir fournir une formation pour être parents ».
Ce sont dans les quartiers où la délinquance est la plus vivace, que l’on constate souvent une absence totale d’autorité. Les enfants sont livrés à eux-mêmes, rentrent quand ils veulent. » Un vide qui sera vite comblé par d’autres mouvances moins éducatives et plus radicales, prévient-il.
L’histoire de l’Humanité
Ce mardi 13 novembre, les 15 participants écoutent, attentifs, les explications de leur guide à Yad Vashem. Dans ce Mémorial de la Shoah, qui accueille une moyenne de 5 000 visiteurs par jour, du monde entier, Shlomo Balsam va s’employer à raconter l’horreur absolue en une heure à peine, à ces hommes d’une autre foi, celle d’Allah, dont les fidèles ont souvent du mal à reconnaître les souffrances du peuple juif. « Aucun pays n’a accepté de recevoir les Juifs, hormis la République dominicaine ». « Les dirigeants arabes ont collaboré avec les nazis ». « On a dénoncé des Juifs ». Les visages sont concentrés.
Nourdine Mlanao salue la capacité de résilience du peuple juif. Il cite Simone Veil qui a su rebondir après les affres de la déportation.
Puis la visite se clôture par une cérémonie dans la crypte du souvenir. « C’est quelque chose de très lourd. C’était très fort, très émouvant », déclare Ali Mohammed Kassim, le mufti de la communauté comorienne de France. Au moment de signer le Livre d’or du Mémorial, Hassen Chalgoumi dira, sobrement : « Cette histoire, c’est notre histoire, c’est l’histoire de l’humanité ».
Plus tôt, le matin, la délégation était allée se recueillir sur les tombes de Jonathan Sandler et ses deux fils et de la jeune Myriam Monsonego. Devant les sépultures des victimes de la folie meurtrière de Mohamed Merah, l’imam de Drancy avait eu bien du mal à cacher son émotion.
« Cela vaut la peine d’essayer »
Bernard Koch ne doute pas un instant de la sincérité de Hassen Chalgoumi, et des autres participants. Leur rencontre remonte à 2007, quand le bus de l’amitié judéo-musulmane du rabbin Sarfaty passe par Drancy. Koch découvre alors un imam « pas poilu du tout », qui le surprend par ses prises de positions courageuses. A cette époque de grandes tensions entre les différentes minorités de France, Chalgoumi demande aux Musulmans du monde entier de respecter « la mémoire juive ». Koch est fasciné. Il lui proposera un rendezvous, persuadé qu’il « est possible de faire quelque chose avec le monde musulman à partir de cet imam ».
Mais le rapprochement prendra du temps. « Les Juifs de France sont frileux », explique Koch. « La communauté était sur ses gardes, car Hassen Chalgoumi ne représente ni le CFCM (Conseil français du culte musulman), ni la Grande mosquée de Paris. » Et c’est à cette communauté juive, en premier lieu, que Bernard Koch va chercher à faire un compte-rendu de la visite.
Car l’aventure ne s’arrête pas là. Celui qui a fait de ce travail de médiation inter-communautaire – à titre gracieux – son cheval de bataille a d’autres projets dans sa manche, en partenariat avec l’ambassade d’Israël : la venue d’imams israéliens dans des mosquées de France ; la visite du rabbin et de l’imam de Saint-Jean d’Acre aux communautés juives et musulmanes de France ; la rencontre du maire de Haïfa, à la tête d’une ville juive israélienne qui incarne un exemple de coexistence réussie avec son importante communauté musulmane, et de la communauté juive de France.
Pour lui, ce voyage d’imams en Terre promise, sortes de messagers de la paix, ne constitue que la première pierre à l’édifice du mieux-vivre ensemble. Est-il optimiste pour des jours pacifiés ? « Optimiste mais vigilant », répond Koch.
Et de conclure : « Quand on voit que quelque chose est possible, cela vaut la peine d’essayer ».