Mont des Oliviers : dialogue sous l’égide de C.I.E.U.X.v et de la Fraternité d’Abraham
Qui n’a jamais rêvé d’un monde pacifié où les hommes se regardant face à face -«Panim el Panim», «פָּנִים אֶל פָּנִים»- abandonnent leurs peurs et préjugés d’antan pour enfin se bénir mutuellement et adresser l’un à l’autre le Shalom?
Le lundi 12 août dernier fut et restera, à cet égard, un moment inoubliable dans le domaine de la rencontre interreligieuse entre Juifs et Chrétiens, rencontre honorée par la présence d’Annette Chouraqui, Présidente d’honneur des Amis d’André Chouraqui. Organisée par Anne Viry (Administrateur de «Bible à Neuilly» et«C.I.E.U.X.», membre du service de relations avec le Judaïsme du diocèse catholique de Nanterre), Mère Christine-Marie Devillon, Bénédictine du Monastère du Mont des Oliviers, et Emile Moatti (Délégué général de la «Fraternité d’Abraham» à Jérusalem), cette rencontre rassembla hommes et femmes de bonne volonté, mus par l’amour du prochain.
Emile Moatti, après avoir très minutieusement retracé l’histoire des relations interreligieuses depuis la fin de la seconde guerre mondiale, a proposé l’idée d’un renouveau interreligieux à partir de Jérusalem, la Cité des trois monothéismes, lieu où, selon la tradition juive, comme le rappela une sœur bénédictine, naquit Adam, le Premier homme.
Tous les participants engagés en ce dialogue s’accordent unanimement pour fonder et poursuivre cette renaissance spirituelle à partir de la figure emblématique du Patriarche Abraham, porteur de la promesse de Dieu:
«וְנִבְרְכוּ בְךָ כֹּל מִשְׁפְּחֹת הָאֲדָמָה» (בראשית י”ב, ג’).
«…et par toi seront bénies toutes les Familles de la terre» (Gen. 12, 3)
La racine latine du terme «famille», «familia» désigne, selon le dictionnaire Littré: «Chez les Romains, réunion de serviteurs, d’esclaves («famul famulus») appartenant à un seul individu ou attachés à un service public» et dénués de droits. Or, que signifie le substantif «Famille» en hébreu? Il signifie à la fois «Lier, joindre, partager» (La racine hébraïque (ס. פ. ח ) équivaut à (ש. פ.ח.) «joindre, annexer». La racine hébraïque du substantif «servante», שִׁפְחָה témoigne du lien moral, social et juridique unissant la servante à la famille l’employant.
Pourquoi les Familles de la terre (au sens hébreu du terme) sont-elles bénies par la descendance d’Abraham? La bénédiction des Nations découle du double trait de caractère si particulier au Patriarche Abraham, à savoir une profonde et sincère aspiration à l’accueil du passant et à l’hospitalité et la recherche effrénée de Paix entre les siens et l’étranger de la manière la plus désintéressée qu’il soit:
Partage de la tente:
«וַיִּשָּׂא עֵינָיו וַיַּרְא וְהִנֵּה שְׁלֹשָׁה אֲנָשִׁים, נִצָּבִים עָלָיו; וַיַּרְא וַיָּרָץ לִקְרָאתָם מִפֶּתַח הָאֹהֶל וַיִּשְׁתַּחוּ אָרְצָה. ג וַיֹּאמַר: אֲדֹנָי אִם-נָא מָצָאתִי חֵן בְּעֵינֶיךָ אַל-נָא תַעֲבֹר מֵעַל עַבְדֶּךָ. ד יֻקַּח-נָא מְעַט-מַיִם, וְרַחֲצוּ רַגְלֵיכֶם; וְהִשָּׁעֲנוּ, תַּחַת הָעֵץ. ה וְאֶקְחָה פַת-לֶחֶם וְסַעֲדוּ לִבְּכֶם» (בראשית י”ח, ב’-ה’);
«Comme il levait les yeux et regardait, il vit trois personnages debout prĕs de lui. En les voyant, il courut à eux du seuil de la tente et se prosterna contre terre. 3 Et il dit: “Seigneur, si j’ai trouvé grâce à tes yeux, ne passe pas ainsi devant ton serviteur! 4 Qu’on aille quérir un peu d’eau; lavez vos pieds et reposez-vous sous cet arbre. 5 Je vais apporter une tranche de pain, vous réparerez vos forces,» (Gen. 18, 2-5).
Partage avec Lot:
«וַיֹּאמֶר אַבְרָם אֶל-לוֹט, אַל-נָא תְהִי מְרִיבָה בֵּינִי וּבֵינֶךָ, וּבֵין רֹעַי, וּבֵין רֹעֶיךָ: כִּי-אֲנָשִׁים אַחִים, אֲנָחְנוּ» (בראשית י:ג, ח’);
«Abram dit à Loth: “Qu’il n’y ait donc point de querelles entre moi et toi, entre mes pasteurs et les tiens; car nous sommes frères». (Gen. 13, 8)
(Le terme אָח («Ah, frère») signifie: «relier, connecter, réparer, souder»)
Partage de la prière en faveur d’Avimeleh:
«וַיִּתְפַּלֵּל אַבְרָהָם אֶל הָאֱלֹהִים וַיִּרְפָּא אֱלֹהִים אֶת אֲבִימֶלֶךְ וְאֶת אִשְׁתּוֹ וְאַמְהֹתָיו וַיֵּלֵדוּ כִּי עָצֹר עָצַר יְהוָה, בְּעַד כָּל רֶחֶם לְבֵית אֲבִימֶלֶךְ עַל-דְּבַר שָׂרָה אֵשֶׁת אַבְרָהָם« (בראשית כ’, י”ז-י”ח);
«Abraham intercéda auprès de Dieu, qui guérit Abimélec, sa femme et ses servantes, de sorte qu’elles purent enfanter. 18 Car Dieu avait fermé toute matrice dans la maison d’Abimélec, à cause de Sara, épouse d’Abraham.» (Gen. 20, 17-18)
Paix avec Avimele’ch:
«וַיִּקַּח אַבְרָהָם צֹאן וּבָקָר וַיִּתֵּן לַאֲבִימֶלֶךְ; וַיִּכְרְתוּ שְׁנֵיהֶם בְּרִית» (בראשית כ”א, כ”ז);
«Abraham prit du menu et du gros bétail qu’il remit à Abimélec et ils conclurent mutuellement une alliance.» (Gen. 21, 27).
L’unité des Familles de la terre fondée sur le principe de partage constitue le gage de l’Unité de Dieu. La division des hommes entrave la révélation de la Présence divine (She’hina) en notre monde. Il nous incombe, donc, de participer activement à ce genre de rencontre, d’y partager notre expérience spirituelle à travers la Parole du Dieu vivant qui se révéla à Abraham, le père d’une multitude de Nations. Notre rencontre, notre dialogue ici à Jérusalem où nous replantons la Tente d’Abraham est en voie de susciter le germe de la renaissance entre nos communautés respectives, dialogue à l’issue duquel «le vrai visage d’Israël» comme le dira André Chouraqui se révèle au monde. Ce visage transparaissant à travers le message abrahamique universel d’Amour et de Justice (Gen. 18, 19) constitue le fondement de la nouvelle communion de la grande famille humaine et de la Paix universelle.
«הֲלוֹא אָב אֶחָד לְכֻלָּנוּ, הֲלוֹא אֵל אֶחָד בְּרָאָנוּ» (מלאכי ב’, י’).
«N’avons-nous pas tous un seul père? N’est-ce pas un seul Dieu qui nous a créés?» (Malachie 2, 10)
Jérusalem, le noyau de la foi monothéiste, deviendra le centre mondial de cette redécouverte mutuelle et le lieu du Dieu d’Israël se révélant à toutes les Nations par l’étude du TaNa’KH (Bible):
«וְהָלְכוּ עַמִּים רַבִּים, וְאָמְרוּ לְכוּ וְנַעֲלֶה אֶל הַר-יְהוָה אֶל-בֵּית אֱלֹהֵי יַעֲקֹב, וְיֹרֵנוּ מִדְּרָכָיו, וְנֵלְכָה בְּאֹרְחֹתָיו: כִּי מִצִּיּוֹן תֵּצֵא תוֹרָה, וּדְבַר-יְהוָה מִירוּשָׁלִָם «
«Et nombre de peuples iront en disant: “Or çà, gravissons la montagne de l’Eternel pour gagner la maison du Dieu de Jacob, afin qu’il nous enseigne ses voies et que nous puissions suivre ses sentiers, car c’est de Sion que sort la doctrine et de Jérusalem la parole du Seigneur» (Isaïe 2, 3).
«…et par toi seront bénies toutes les Familles de la terre» (Gen. 12, 3)
«וְנִבְרְכוּ בְךָ כֹּל מִשְׁפְּחֹת הָאֲדָמָה»
A cette rencontre participèrent également:
Frère Antoine Lévy, ancien élève de l’E.N.S. (St Cloud), est entré dans l’Ordre dominicain en 1990. Il occupe actuellement la fonction de Professeur au Studium Catholicum à Helsinki (Finlande).
Père Thierry Vernet responsable des religions entre Juifs et Chrétiens au diocèse de Paris.
Jérusalem: Rencontre interreligieuse, la Bénédiction d’Abraham